Le rugby français se penche enfin sérieusement sur un sujet longtemps passé sous silence : les commotions cérébrales. Témoignages glaçants, alertes médicales, innovations technologiques… Lors d’un Grenelle organisé à Paris par le syndicat des joueurs Provale, le malaise a éclaté au grand jour. Et il ne s’agit plus de cas isolés.
Des témoignages qui sonnent comme un avertissement
Le choc des mots est venu de ceux qui l’ont vécu de l’intérieur. Paul Willemse, deuxième ligne du MHR, a vu sa carrière basculer un soir d’octobre 2024, après sa sixième commotion en deux ans. “Je ne sens pas physiquement que j’ai un problème… donc c’est dur d’arrêter de jouer” (RMC Sport). À 32 ans, il ne sait toujours pas s’il pourra rejouer un jour.
Même angoisse chez Romane Ménager, 3e ligne des Bleues, qui a enchaîné neuf commotions. Elle a mis quatre mois à récupérer de la dernière, et raconte avoir ressenti “un seuil de tolérance” dépassé. Depuis, elle a tiré un trait sur la Coupe du monde féminine de septembre. “Certains jours, j’ai des maux de tête, j’ai du mal à maîtriser mes émotions” (Le Parisien).
La plus marquante reste Jade Ulutule, ancienne capitaine du rugby à 7, contrainte de raccrocher l’été dernier. “J’ai encore des maux de tête, des insomnies, je suis sensible aux écrans… Mon quotidien ressemble à celui d’un retraité de 70 ans” (L’Équipe). À 32 ans, elle se bat pour simplement envisager une balade ou une course à pied sans symptômes.
Un encadrement en progrès, mais à deux vitesses
Face à l’ampleur du problème, les instances ont lancé plusieurs initiatives. En Top 14, un million d’euros par an est désormais investi dans la prévention : médecins vidéo, protocole HIA, et surtout le protège-dents connecté, obligatoire depuis novembre. Ce petit bijou technologique mesure la vitesse des chocs et la rotation de la tête. Résultat : sur 33 alertes, 9 véritables commotions ont pu être détectées à temps. Sans ce dispositif, les joueurs seraient restés sur le terrain.
Mais ces outils restent réservés à l’élite. Dans le monde amateur, les moyens sont limités. Quelques règles ont bien été mises en place — comme le carton bleu en cas de suspicion de commotion — mais la vigilance repose beaucoup sur les arbitres et les encadrants. Bonne nouvelle tout de même : à partir de la saison prochaine, le repos forcé passera à 21 jours pour tout joueur amateur victime d’un choc.
Un tabou qui résiste encore
Malgré les chiffres, malgré les protocoles, un constat reste le même : beaucoup de joueurs refusent encore de sortir après une commotion. La peur de perdre sa place, l’orgueil, la culture du “guerrier”… Tout cela pèse lourd. “Il y a une pression qu’on se met tout seul”, avoue Willemse (RMC Sport).
Le neurologue Jean-François Chermann tire la sonnette d’alarme. Même dans les clubs les mieux équipés, 15 % des joueurs commotionnés restent sur le terrain. Dans d’autres sports, ce chiffre grimpe à 50 %. “Il faut protéger les joueurs dès les premiers signes. Beaucoup minimisent les symptômes, parce qu’ils ont déjà mal ailleurs et que le mal de tête passe après” (Le Parisien).
L’après-carrière, zone grise et solitude
Le vrai vide, c’est après. Une fois le contrat rompu, les joueurs sortent du système et doivent se débrouiller seuls. Ulutule en témoigne : “Je suis suivie par un médecin en Bretagne, on fait un bilan chaque mois. Mais je me sens parfois un peu isolée. Quand tout le monde bosse et que toi tu restes à la maison, c’est dur”.
Elle milite pour plus d’accompagnement psychologique et plus de relais pour ceux qui vivent avec des symptômes chroniques. “Je doute. J’ai eu des améliorations, puis ça a recommencé. Pour l’instant, travailler de 8h à 17h, c’est juste impossible. J’essaie juste de viser de petites étapes” (L’Équipe).
Changer la culture du jeu
Le rugby n’est pas un sport sans risques. Et personne n’envisage de le transformer en activité sans contact. Mais changer le regard sur les commotions, c’est urgent. “C’est pas une blessure comme une jambe cassée. Faut l’accepter, même quand ton corps te dit que tout va bien” résume Willemse (RMC Sport).
Pour Bernard Dusfour, président de la commission médicale de la LNR, l’enjeu est clair : “La priorité absolue, c’est la détection de la première commotion. C’est un problème de santé publique” (Le Parisien).
Alors que la fédération internationale World Rugby a récemment assoupli certaines sanctions — comme le carton rouge temporaire de 20 minutes —, en France, la vigilance semble plutôt vouloir s’accentuer. Mais pour que cela fonctionne, il faudra encore briser les habitudes, les non-dits, et les réflexes du terrain.
Une prise de conscience qui ne doit pas s’essouffler
Ce Grenelle aura eu le mérite de faire entendre la voix des principaux concernés. Des sportifs fragilisés, parfois brisés, mais toujours prêts à prévenir les générations qui arrivent. “Qu’est-ce que tu veux laisser dans le sport, quelle image ?” interroge Willemse, au bord de l’après. “Si je peux aider les jeunes à travers mon témoignage, c’est déjà ça” (RMC Sport).
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J’ai grandi dans une famille où le rugby était de tous les moments. J’étais au bord du terrain quand Castres a battu Pau et a rejoint l’élite, j’étais dans le Stade Pierre Antoine face à Gary Whetton quand il a fait son Haka pour célébrer le Brennus de 1993 et j’ai toujours été bercé des légendes de ce sport. Maintenant, c’est avec XV Ovalie que j’entends prolonger l’aventure. #TeamCO